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CAPITALISME DE FESTA
mARç 2024


Cinq jours de fête à Valence c’est un an de préparatifs, deux millions de touristes, dix millions d’euros, un mois de pétards fanfares à se pêter le crâne. La ville brûle, le tourisme défonce tout. Les Fallas sont devenues le spectacle d’une fête lisse, d’un capitalisme bulldozer qui défonce toute charge symbolique sur son passage. Comment continuer à croire que le carnaval renverse l’ordre établi quand on a la mondialisation en intraveineuse.

València, 19 de març 2024

2014, je mets les pieds à Valence pour la première fois. Je vois le soleil se coucher sur l’Albufera et les falleras défiler dans la bataille des fleurs de la Feria de Juliol. Aux mois de mars 2015, 2016 et 2017 je me retrouve dans le joyeux bordel des fêtes de la ville. Les Fallas s’étalent sur 20 jours ritualisés et chaotiques pour célébrer la fin de l’hiver. La légende raconte qu’il y a 200 ans, les charpentiers brûlaient l’excédent de matériaux le jour de leur saint patron pour nettoyer les ateliers. Un classique païen de purification par le feu à la veille du printemps. Ces tas de bois informes sont devenus des sculptures élaborées et satiriques, reprenant la fonction symbolique du carnaval. La dérision politique, la vie de quartier, l’artisanat et la poudre constituent l’ADN de ces fêtes populaires.




2024, j’ai lu cette phrase à Benimaclet sur un rideau de fer : « Les amoureux, aimez. Les falleros, crevez ». Triste sort pour un rite bicentenaire qui n’incarne plus que le capitalisme de fête et un terrible sentiment d’invasion. Les rouages du capitalisme opèrent depuis les années 30 à faire de ces fêtes une attraction touristique. La municipalité a progressivement encadré cet espace revendicatif à coup de taxes, de mise en compétition et de conditions esthétiques qui oeuvrent à neutraliser le politique. Est-ce que le classement au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2016 a participé à signer leur arrêt de mort ? Les Fallas cristallisent désormais les ravages du tourisme dans toute sa splendeur. Des rapports de force culturels et économiques à la dépossession des habitant·es au territoire, chaque année plus nombreuxses à fermer boutique et à fuir la ville au mois de mars.

Sept ans plus tard, je retrouve une Valence en fête défoncée par le tourisme où les Airbnb pullulent comme des cellules cancéreuses. Ça grouille d’expats en bord de mer. Au Cabanyal, ancien quartier de pêcheurs à la population précaire et marginalisée, les expropriations ultraviolentes se multiplient ; personnes âgées habitant le quartier depuis toujours, enfants en bas âge, mères seules et précaires sont incessamment mis·es à la rue par la spéculation immobilière et la complicité de l’Etat. L’écart se creuse entre ceux qui habitent et ceux qui traversent l’espace. La ville devient fantôme comme partout ailleurs en zone cotière. Et des collectifs se rassemblent pour empêcher les keufs de mettre des vieux à la rue, s’organisent pour prendre soin de la terre, réparent le territoire avec des potagers, résistent avec des festivals populaires, luttent pour occuper chaque brèche. 

Valence n’est pas à vendre.

El Cabanyal, març 2024

© eliesthr, mars 2024